Grossesse et insuffisance rénale

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Au bonheur des mamans


Peut-on mener une grossesse à terme en insuffisance rénale chronique ? Pas sans risque mais possible. Rencontre avec deux patientes qui ont eu des enfants en dialyse.    
Delphine Fontaine pouponne tendrement sur sa terrasse, dans un cadre idyllique, au pied du massif de Bébourg, à la Plaine des Palmistes. « Ça n’a pas été facile tout le temps, mais le bonheur en vaut la peine », confie la jeune maman. Sa fille Olivia est venue au monde le 18 octobre à 34 semaines. 1,950 kg à la pesée. Une naissance prématurée à laquelle s’étaient préparés ses parents. Delphine Fontaine a démarré la dialyse en 2018. La maladie n’a pas entamé son désir d’un deuxième enfant. « Comme j’étais déjà en dialyse quotidienne, la méthode qui est recommandée pour les grossesses, ça m’a encouragée », témoigne la patiente, parfaitement autonome dans ses soins. Bilan : une grossesse sans accroc, en surveillant la prise de poids et le niveau de liquide amniotique. « Tout s’est passé naturellement, hormis une fatigue importante au dernier trimestre. J’ai eu la chance d’être très bien suivie par le gynécologue et le néphrologue, Dr Bourgeon, très bienveillant ». Du haut de son petit mois, Olivia fait la fierté de ses parents et de son grand frère Gabriel, 8 ans, qui l’attendait tant. Delphine adresse ce message aux futures mamans qui partagent sa pathologie : « Ne pas baisser les bras si le désir d’enfant est là ».
Delphine et Sébastien Fontaine, parents de la petite Olivia depuis un mois. 
Marie-Annick a été donné la vie deux fois depuis qu’elle est atteinte d’insuffisance rénale. D’abord en 2002, pour la naissance de son deuxième enfant. « Un petit miracle ! Il est né à 820 grammes. Aujourd’hui, à 18 ans, c’est un beau baba de d’1m80 pour 80 kg », sourit sa mère. En 2012, après l’échec d’une greffe, la patiente dialysée est à nouveau enceinte. Mais son bébé ne survivra pas à deux opérations pendant la grossesse. Une épreuve, mais pas un renoncement, puisque Marie-Annick retrouve le bonheur d’être mère avec Mathis quatre ans plus tard, à 42 ans. « A l’époque, je vivais en métropole, je suis passée d’une hémodialyse trois fois par semaine à des séances quotidiennes à partir du 2e mois. C’était un rythme de vie à prendre, avec une alimentation adaptée : plus de fruits, plus d’eau, plus de protéine pour éviter que je m’assèche trop ». A l’arrivée, un accouchement à sept mois, après une hospitalisation sans incidence suite à une pré-éclampsie. Mathis est né avec 1,7 kg mais n’a pas eu besoin d’oxygène. A bientôt 4 ans, c’est un petit garçon plein de vie qui gambade dans la case familiale de la Rivière Saint-Louis, sous l’œil attentif de sa mère, bien placée pour rappeler cette évidence : « La vie n’est pas finie en dialyse ».
Grossesse et insuffisance rénale -Marie-Annick Vitry et famille
Marie-Annick Agathe avec son mari et son fils Mathis, 4 ans.

INTERVIEW DU DOCTEUR BRUNO BOURGEON

Dr BOURGEON

Dr Bruno Bourgeon : « Une grossesse en dialyse quotidienne, c’est 50% à 70% de succès ».

« Le meilleur cas de figure, c’est après la greffe »

Le Docteur Bruno Bourgeon a dirigé une thèse* sur le thème grossesse et insuffisance rénale. Il évoque l’évolution des techniques qui ont permis d’améliorer le pronostic chez les patientes enceintes.

Docteur Bourgeon, peut-on concilier grossesse et dialyse ?

Tout à fait. Pendant longtemps, ce fut un mauvais pronostic. Mais depuis 20-25 ans, ça s’est bien amélioré. Les néphrologues ont appris à manager les grossesses en dialyse, par la dialyse quotidienne, avec de l’aspirine pour éviter la thrombose de l’artère utérine, avec du fer et de la vitamine B9 pour éviter l’anémie. Une grossesse en dialyse trois fois par semaine, c’est environ 70% d’échec. Une grossesse en dialyse quotidienne, c’est 50% à 70% de succès. Disons qu’au stade de dialyse ou de greffe, c’est moins embêtant qu’à l’état d’insuffisance rénale. Le meilleur cas de figure, pour limiter les risques, ça reste les grossesses en greffe. A la fois pour préserver la fonction rénale de la maman et la bonne santé de l’enfant. Idéalement, il faudrait attendre un an après la greffe pour pouvoir être enceinte.

Une femme enceinte atteinte d’IRC doit-elle suivre un traitement adapté ?

La cause de la maladie rénale est un facteur déterminant. Un lupus, par exemple, va favoriser la maladie rénale. La patiente, dans ce cas, devra suivre un traitement à base de corticoïde pour éviter la poussée du lupus. Si c’est une maladie rénale standard, la grossesse, idéalement, doit se faire sans à coup tensionnel ni grande variation de poids. Autrement dit, la patiente doit prendre du poids de façon régulière pendant sa grossesse. Je recommande à mes patientes une moyenne DE 500 grammes tous les 15 jours, soit neuf kilos en fin de grossesse. Moyennant quoi, on aura moins d’inflation hydro-sodée, à l’origine de l’inflation la plus importante qui s’appelle le poly-hydramnios. Ça veut dire trop d’eau dans la cavité amniotique, et donc un bébé sous pression qui risque de mourir.

Quid des grossesses chez les patientes IRC qui ne sont ni dialysées ni transplantées ?

Dans ce cas, le risque est majeur d’un échec de conception, soit par avortement, soit par grande prématurité et/ou éclampsie. Pour la mère, le risque est l’aggravation de l’insuffisance rénale : il faut imaginer que l’état d’hyperhydratation consécutif à l’état de grossesse est une véritable épreuve pour la fonction rénale, une sorte de marathon. Aussi, si la fonction rénale est perturbée dès le départ, le handicap est certain. Enfin, l’état de grossesse ne dispense pas la pratique de certains outils diagnostiques comme la biopsie rénale si elle s’avérait nécessaire au diagnostic et au management de la maladie rénale.

Lorsque les grossesses vont à leur terme, y a-t-il un risque de complication pour l’enfant ?

En dehors du poly-hydramnios, la seule et principale complication reste la prématurité. Pour le reste, il n’y a pas davantage de complications que pour « une grossesse normale ». Naturellement, cela impose un suivi médical régulier et une surveillance stricte.

Avez-vous un souvenir particulier d’un suivi de grossesse en dialyse ?

J’ai connu une patiente dont l’enfant est né à 37 semaines, le même jour que sa maman… et le même jour que mon fils et ma sœur ! Je suis devenu le parrain de l’enfant. Cette patiente avait été greffée deux fois. Elle a été la première patiente réunionnaise en hémodialyse quotidienne à domicile.

 

*En 2001, une trentaine de patientes, greffées ou dialysées, ont été suivies dans le cadre d’une thèse universitaire réalisée par Nathalie Mourot-Boyon.

En dialyse péritonéale, le Docteur Ali Aizel indique que la poursuite des soins est tout à fait possible, sans problème, jusqu’à la fin du 1er trimestre. « A partir du 4ème mois, nous préconisons aux patientes un passage en hémodialyse quotidienne ». Passé ce délai, les soins et les recommandations hygiéno-diététiques ne changent pas par rapport à ce qui est préconisé lors d’une grossesse en hémodialyse conventionnelle.